Le beau temps était revenu sur New York depuis une dizaine de jours. Le printemps redonnait une touche de vivacité et d'euphorie que les habitants et les touristes partageaient. Même moi. J'avais tenté de prendre la bonne résolution de diminuer ma consommation d'alcool, et pour l'instant je la tenais. Bon, à la place je fumais comme un pompier, passant de deux à trois paquets et demi par jour. Autrement dit, mon corps ne se repose pas plus, mais au moins j'ai bonne conscience, et surtout je garde un esprit plus net. Je ne saurais pas dire ce qui m'a fait changer, et même si je ne sais pas combien de temps je tiendrais le rythme, c'était peut-être l'arrivée du soleil et de la chaleur qui me faisait prendre un nouveau virage dans ma vie, et je comptais en profiter.
M'étirant longuement, je me redressais dans mon lit et pris quelques minutes pour émerger d'une bonne nuit d'un sommeil réparateur. Je passais directement par la case salle de bain afin de prendre une bonne douche, m'habillais puis sorti pour rejoindre la cuisine, allumant la chaîne hi-fi au passage, où le son de Bon Jovi, It's my life, résonnait dans la pièce. M'asseyant sur la chaise de comptoir, je préparais un café bien serré et attrapais mon paquet de clopes pour m'en griller une. Je pris ainsi le temps de me lever calmement avant de m'apprêter à quitter mon appartement pour descendre les escaliers et rejoindre ma boutique située au rez-de-chaussée. Je fis monter le rideau métallique, tourna le panneau accroché à la porte pour signaler que c'était ouvert, mis la radio en route et commençais à déballer mes dernières commandes, en préparer de nouvelles, et j'en passe. Bref j'étais installé dans une sorte de routine pourtant agréable et qui me convenait. Je pensais que cette journée allait être agréable, que rien de fâcheux n'allait me saper le moral, mais j'avais tord. Je le sus aussitôt que je vis ce gus débarquer. Je ne savais pas encore ce qu'il me voulait, mais j'aurais préféré ne  pas le savoir. Ouais, une journée de merde commençait.

« J'peux faire quelque chose pour vous ? » ‏Demandais-je  cet oiseau de mauvaise augure qui venait vers moi.

Que j’étais heureux de voir ce type ! Non, je déconne. A peine je voyais sa mouille de petit procureur véreux ou je ne sais quoi me rendait malade. Je savais qu’il ne lâcherait jamais l’affaire pour l’histoire du meurtre non prouvé de mon beau-père, que j’avais bel et bien commis cela dit en passant, mais qu’est-ce que ça pouvait bien leur fiche ? Ce détritus pourrissait en Enfer, et moi je ne m’en portais que très bien. Seulement pour une fois il n’était pas après moi, et je devais bien avouer que ça me soulageait, même si j’avais parfaitement conscience qu’il m’attendrait au tournant. La preuve de sa présence, s’il pensait que je n’avais rien à me reprocher, il ne serait pas là. A la place de ça non, j’avais sa tête de bourge bien en face dans le collimateur, et je rêvais de saisir une de mes armes et de la lui pointer en plein sur la carotide. Je n’avais que des armes blanches à portée de main, je ne pourrais donc pas faire mieux. Mais non, je devais me retenir, au moins physiquement.

« Alors quoi ? Vous pensez que je fais un répertoire avec tous les petits noms et les petits métiers des gens qui viennent ici ? On me demande une arme, je la vends. C’est ça mon fond de commerce, et pas autre chose. »

Je fis une courte pause, le regardant droit dans les yeux avec tout l’amour que je lui portais, et ajoutais :

« Des flics j’en vois tous les jours, au même titre que des types lambda qui viennent se fournir pour surveiller leurs arrières. Ça ne vous étonnera donc pas si je vous dis que je n’ai aucune idée de ce qu’ils font, pourquoi ils le font et j’en passe. »

Je lâchais un soupir et ajoutais :

« Ah oui, j’oubliais une chose : prenez-moi pour une balance quitte à y être, j’ai même pas envie de jouer l’ironie en vous disant que ça serait un plaisir de vous aider. »

Manquerait plus que ça…

Je fis le tour de mon comptoir et vins me poster juste en face de McCLaren. Je croisais les bras sur ma poitrine et lui répondis :

« Vous voyez, c’est ça le problème : je ne veux pas vous aider. Après tout, qu’est-ce que j’y gagnerai ? »

Je laissais flotter un léger moment de silence durant lequel nous nous toisions. Si je voulais lui en coller une je pouvais le faire sans problème, lui étant plus chétif et moins musclé que moi. Mais je n’en avais pas envie. Enfin envie, si, mais ça n’était pas la meilleure chose à faire à un procureur de la République.

« Quoi que je fasse de toute manière vous voulez aussi m’envoyer au trou. Vous croyez que je ne vois pas clair dans votre petit jeu ? »

Soudain, il me vint une idée.

« Ecoutez, on va passer un deal. Je vous donne des noms et vous vous engagez à supprimer toutes les charges contre moi. Vous arrêtez de me prendre pour un meurtrier, bref on passe l’éponge sur tout cela. »

Oui, à ce titre j’étais prêt à le faire.

« Deal ? Je veux votre parole d’honneur. Pourquoi pas même un contrat papier entre nous. » Lui dis-je en attrapant derrière moi un stylo.
»