Nous étions arrivés il n’y avait que quelques jours, Lily et moi. D’abord, je l’avais inscrite à l’école ? Et j’avais aussi trouvé quelqu’un pour la garder, trouvé un toit à mettre sur nos têtes. Mais tout ça n’était pas gratuit, et il fallait que je trouve comment réguler ma situation, peu pouvait importer la façon que je devrais employer pour ça. D’abord, j’avais fait ce que je savais faire de mieux pendant quelques jours : volé, menti pour arriver à me faire quelques ronds. Cependant, j’avais conscience que ça ne pouvait pas durer. Je ne voulais pas que ma fille puisse avoir cette image de moi : voleur et manipulateur aux yeux du monde, papa protecteur aux yeux de ma fille. C’était ainsi que ça devait se faire.

Alors ce matin là, j’avais emmené Lily à l’école après son petit déjeuner. M’étais arrêté prendre un café dans le premier bar venu et avais vu une annonce qui m’intéressait : celle d’un club qui recherchait barmans et videurs. Ce n’était peut-être pas le meilleur taff au monde, mais ça m’irait très bien, dans un premier temps. Rentré chez moi en quatrième vitesse pour enfiler une chemise au dessus de mon baggy, j’avais filé à l’adresse indiquée, attendant patiemment mon tour. Un premier candidat est passé. Et puis un second. Et puis… plus rien. J’ai attendu d’abord. Mais au bout de quelques minutes, j’ai eu le culot de frapper à la porte avant d’ouvrir :

- Excusez-moi, je ne savais pas si je devais entrer ou… et j’ai regardé un peu plus en détail mon interlocutrice. Mon coeur ne fit qu’un tour : Rebecca. Il rata quelques battements, ma bouche s’entrouvrit, incapable de dire quoique ce soit. Et au bout de quelques secondes, j’ai balbutié :

-Nom de… Rebecca, c’est bien toi ? j’suis pas en train de rêver ?

J’étais stupéfait, mais heureux de voir qu’elle se portait bien : elle n’avait pas changé.

Lorsque j'avais passé la porte du bureau, j'étais confiant. Du moins... jusqu'à ce que je réalise que la brunette avec qui j'allais devoir m'entretenir n'était autre que... "ma" brunette. l'une des rares devant qui je me sois déjà senti petit et incertain, depuis la mère de Lily, qui elle, m'avait carrément rendu timbré. Je n'étais pas malheureux d'être là, devant Rebecca. Seulement surpris.

- Si j'avais su qu'on se retrouverait aujourd'hui... j'aurais fait un peu plus d'efforts ! j'avais lancé en montrant mon baggy du doigt avec amusement. Je ne me sentais pas particulièrement à l'aise. Pas que je ne fus pas content de la voir, c'était même définitivement le contraire. Pourtant, je me sentais gêné. Parce que je savais qu'elle avait raison. Passant une main derrière ma nuque que je frottais, embêté par la situation, j'ai baissé légèrement les yeux:

- J'suis vraiment désolé. J'ai merdé. J'ai voulu t'appeler. Mais... j'ai pas d'excuse mis à part celle-ci: je n'ai jamais arrêté de penser à toi, dire le contraire serait mentir. Et lui adressant un sourire, j'ai poursuivi: j'suis content de voir que tu vas bien.

Et à l'entendre m'expliquer qu'elle n'avait pas beaucoup de temps, j'ai haussé les épaules, un sourire en coin se dessinant sur mon visage:

- Et... t'as combien de temps pour... un mix des deux ? avais-je hasardé sur un ton amusé...

Mes sourires pouvaient souvent sembler hypocrites. En réalité, Il n'était pas coutume pour moi de sourire, n'ayant jamais aimé montrer mes dents... Et puis il fallait bien dire que dans les couloirs de la prison, il était bien plus facile de tirer la tête plutôt que de danser la chenille dans les cellules bien trop petite pour cet emploi. Pourtant, je restais convaincu que ç'aurait pu être vachement marrant, quand même !

Mais s'il y avait bien deux personnes avec qui je rangeais ma pudeur au placard et n'étais en rien avare en sourires, je pouvais dire sans hésitation qu'il s'agissait de ma fille... et de Rebecca, cette amie de toujours, celle avec qui j'avais échangé quelques lettres entre les murs pleins de moisissure et d'inscriptions pas nettes, l'une des seules à s'être souvenue que derrière la façade de la prison quelques incarcérés attendaient avec espoir la venue de leurs proches qui souvent par honte décidaient de disparaître...
Et comme souvent face à la brunette, j'ai souri, comme on sourit à la vie, arquant un sourcil à sa remarque:

- C'est dans tes habitudes, de flâter les candidats ? j'ai demandé dans le seul but de la taquiner, avant de reprendre, plus sérieux : T'as pas changé... t'es toujours magnifique. A croire que le soleil avait ses filles préférées.

J'ai hoché la tête, poursuivant: - Y'a... une chose qui m'a manqué, en particulier. Et lui adressant un clin d'oeil, je l'ai serrée dans mes bras comme pour rattraper le temps perdu avant de réfléchir un court instant à sa proposition, remettant entre nous une distance plus acceptable entre un employeur et un candidat...

- Ca me paraît bien... j'me sens privilégié pour ces dix minutes en rab ! avais-je avoué sur le ton de la plaisanterie avant de continuer: j'propose qu'on fasse le moins agréable d'abord... qu'on en soit débarrassés ! et pour dissiper tout malentendu, j'ai précisé: je parle de l'entretien, bien entendu! qu'est ce que tu en penses ?

J'avais des tas de choses à lui dire, à lui demander. Mais rattraper le temps perdu en dix minutes seulement ne serait pas chose facile...

Si je n'aimais pas forcément sourire, j'aimais voir celui des autres s'étirer sur leur visage. Surtout lorsqu'il s'agissait de celui de Rebecca, qui malgré les mois passés sans la voir était resté un souvenir précieux pour moi. Alors forcément, la voir me sourire me fit quelque chose, c'était indéniable. J'étais heureux, comme si tous mes souvenirs avec Rebecca revenaient à l'ordre du jour. Comme si rien ne s'était jamais terminé.

Pensif, je n'ai pourtant pas pu m'empêcher de taquiner Rebecca. Bien évidemment, je me doutais qu'il n'était pas dans ses habitudes de flatter n'importe qui, qu'elle avait probablement eu ce mot gentil parce que l'on se connaissait. Et à son affirmation, j'ai hoché la tête. Elle ne pensait pas si bien dire. Les années n'avaient pas eu d'emprise sur elle, on ne pouvait pas dire la même chose me concernant. Je ne me considérais pourtant pas non plus comme quelqu'un de vieux, en réalité, je pensais toujours de la même façon qu'à mes vingts ans. Mais j'avais pour autant conscience du temps qui passait, filant à une vitesse déconcertante…

- Oh, excusez moi. J'ai du me méprendre, alors ! J'ai répondu avec désinvolture, un sourire amusé se dessinant au coin de mon visage.

Là, nous avons tous deux repris nos rôles respectifs. Elle, celui de l'employeur, moi, celui du postulant. Et je devais bien dire ce qui était : traiter avec Rebecca ; pas en tant qu'amis cette fois-ci. On allait parler business. J'ai froncé les sourcils, hochant la tête :

- Euh… oui ! Tiens. Voilà… mon CV et ma lettre de motivation et euhm… si t'as besoin d'autres choses, j'ai … tout ce qu'il faut là dedans. Je lui ai signifié la pochette cartonnée que je tenais en main avant de poursuivre : - eh bien… j'ai principalement travaillé à l'usine mais j'ai aussi déjà travaillé en tant qu'agent de sécurité, ce qui m'avait beaucoup plu. Ce que pourrait m'apporter le poste… « de l'argent », j'ai pensé. Mais à la place je me suis contenté de répondre : le contact humain, j'aime échanger avec les gens, et je sais intervenir en cas de force majeur. Je crois que ce poste pourrait m'apporter, tout comme je saurais vous apporter !

A la remarque de Rébecca, j’ai éclaté de rire. Parce qu’elle n’avait pas tort : ce genre de remarques étaient tout à fait mon style. Alors sortant deux secondes de mon rôle de demandeur d’emploi, sans regret. Je savais pertinemment qu’elle comprendrait que ce n’était pas un affront, mais une vanne. Tout comme elle venait de le faire. L’air de ne pas y toucher, j’ai haussé les épaules :

- Que tu m’connais bien ! Mais, tu sais ce qu’on dit : on ne peut pas avoir l’argent du beurre et l’cul d’la crémière ! 

Et j’ai ri doucement, reprenant volontiers mon rôle là où je l’avais laissé. J’écoutais tout simplement sa proposition. Bien évidemment, il était normal qu’elle ne me donne pas de réponse définitive immédiatement. Je n’étais d’ailleurs pas là pour ça : ç la base, je ne savais même pas qu’elle était là. J’ai froncé les sourcils, réfléchissant quelques secondes,avant de lui lancer :

- Eh bien… oui, ça me va. Je comprends tu sais. Ce n’est pas parce que tu étais ici, que j’ai postulé, je n’aime pas jouer de mes relations. Tout le monde doit avoir sa chance. Et j’pense que c’est la meilleure des solutions pour tout le monde ! j’accepte.

J’ai gratté un instant ma nuque, réfléchissant : - Euhm… j’imagine que tu me recontacteras pour les dates ? Tu… tu as toujours mon numéro, ou je te le redonne ? Et euhm… De quelles pièces tu auras besoin?