Katerina & Matthew

Depuis le début de la journée, Matthew enchaînait les auditions de ces nouveaux prévenus. Son cabinet comptait bien rentabiliser la venue de Matthew à New-York et il avait couru à droite et à gauche toute la matinée. Il en avait même manqué son déjeuner, bien décidé à faire une pause, il sortit du bureau de sa quatrième audition de la journée.

Il salua son prévenu, un jeune pick-pocket qui avait fait le voyage depuis le Bronx jusqu'aux quartiers de Manhattan. Il ramassa sa canne posée contre le mur et appuya son aisselle gauche sous elle, de son bras droit, il cala le maigre dossier policier de son prévenu. Il commença à avancer vers la sortie. Son genou gauche ne lui faisait plus tellement mal, mais il préférait utiliser encore quelques jours sa canne, pour soulager son articulation.
Il suivait d'un peu trop près une jeune femme blonde, qu'il avait à peine remarquer, pensant déjà à son prochain rendez-vous.

Soudain, elle se retourna peu après que quelqu'un l'ai interpellée. Elle le heurta légèrement, mais suffisamment pour faire ouvrir son dossier. La dizaine de feuille s'éparpilla sur le sol et sur les chaussures à talons de la jeune blonde. Elle s'excusa instantanément, il n'eut à peine le temps de voir son sourire, qu'il posa son genou sain à terre pour ramasser ses feuilles.
Il n'y pas de mal. Dit-il sans la regarder.

Katerina & Matthew

Il continua à rassembler ses feuilles tandis que la jeune femme s'en alla, il jeta un rapide coup d’œil à sa montre. C'est bon, j'ai encore le temps de prendre un café, pensa-t-il.
La jeune femme revint vers elle en s'excusant à nouveau.

Non, ce ne sont que les premières déclarations dans un cas de délinquance juvénile, ce n'est rien.

Elle lui ramassa quelques feuilles et les lui tendis.

Merci dit-il d'un ton pressé.

Ils s'échangèrent un long regard, dans lequel il reconnu un visage familier, mais sans directement l'identifier. Ce n'est seulement quand elle l'appela par son prénom, qu'il comprit qu'ils se connaissaient belle et bien.

Oui...On se connaît...Mais...

C'était assez difficile pour lui de la reconnaître, une de ces mèches de cheveux lui couvrait une bonne partie de son visage. Alors, il posa sa canne sur le sol et souleva sa mèche en penchant la tête de dessous. En temps normal, il n'aurait jamais fait cela avec une femme rencontrée il y a une minute, mais comme elle semblait le connaître, ça ne le dérangea pas. Il la reconnu enfin, Katerina, un vieil amour surgit de son passé.

Katerina, c'est vraiment toi?demanda-t-il en laissant retomber la mèche puis en se relevant.

Katerina & Matthew

Une fois debout, la jeune femme confirma son identité en le saluant, ce qui fût une incroyable surprise pour Matt. Son esprit, fut soudain embrumé par une foule de questions qui s’y bousculaient, mélangés à tous ces souvenirs enfouis qu’il avait partagé avec Katerina. Il chercha un temps, la première chose qu’il s’était imaginé lui dire, si un jour il la revoyait. Mais encore une fois, rien ne lui vint.
Fort heureusement, c’est elle qui prit les devants.

Je suis tout aussi surpris que toi, c’était bien la dernière ville où je croyait te revoir un jour ?

Cette phrase pleine de banalité, était la seule chose qu’il put sortir, sa gorge s’était noué à la seconde où il l’avait reconnue.

Il finit de remettre son dossier correctement en ordre. Et c’est seulement après cela qu’il commença vraiment à la regarder de près. Elle avait certes un peu changer, mais était rester la même délicieuse fleur jaune de sa Russie natale. Il voulu lui donner un petit geste d’affection, mais rien d’approprier ne lui vint. L’enlacer, trop tôt, lui serrer la main, trop froid, une bise beaucoup trop tôt. Il décida de simplement lui caresser l’épaule, en lui souriant.

Katerina & Matthew

Matt continua à repenser de plus en plus à son passé en Russie, passé qu’il avait mit des années à enfouir dans un coin de sa mémoire. Il repensa à sa mère, à son enfance à Saint-Pétersbourg et bien entendu, à son histoire avec Kate. Il n’aurait jamais pu reprendre contact avec elle, leur séparation avait été assez douloureuse pour lui. Il n’avait pas besoin d’espérer en plus de la douleur. Alors il avait fait ce qu’il avait toujours fait, tirer un trait et fuir le passé.
Encore une fois, c’est elle qui le ramèna sur terre, en soulevant une interrogation sur l’endroit de leurs retrouvailles.

En effet, dit-il en regardant autour de lui. Savoir ce qu'elle faisait dans ce commissariat, ne lui sembla pas important.

Et pour moi aussi, c’est une agréable surprise.

Elle semblait elle aussi contente de le revoir. Mais son geste sembla la troubler, alors il enleva sa main et recula légèrement. Il n’avait pas voulu la mettre mal à l’aise, bien au contraire, cela avait pour but de la détendre. Mais de toute façon pour lui, Kate était toujours mariée et donc toujours “chasse gardée”, surtout avec un mari aussi puissant que Zerga. Il ramassa sa canne, toujours au sol, qu’il cala sous son bras, tel un Lord anglais.

Oh non, Je n'y suis que depuis quelques jours, et oui, c’est une première pour moi. Et toi, depuis quand es-tu ici ?

Katerina & Matthew

Il répondit à son sourire par un petit rictus de malice. Il remarqua son regard interrogateur quand à sa canne. Il était tout a fait enclin à lui raconter cette aventure, mais tout comme elle le pensait également, ça n’était pas le meilleur endroit pour entamer une histoire aussi longue. Il écouta avec attention lui raconter le pourquoi elle était aux États-Unis. Quand elle lui parla de sa fille, Matt ne fit pas du tout le rapprochement avec lui. Il était encore un peu embrumé par ses retrouvailles et concentrait son esprit sur ce quoi elle racontait. Elle lui demanda son activité.

Oui, avocat, dit-il, en sachant que toute cette histoire devait être difficile à comprendre pour elle. C’est une longue histoire...

Il se rapprocha du comptoir d’accueil après l’avoir inviter à le suivre.

D’ailleurs, je suis attendu dans quarante-cinq minutes dans le Queens, lui dit-il en chemin.

La policière au bureau lui tendit une sacoche de document de style sport-wear, qu’il avait laissé en arrivant, il arracha le scratch pour l’ouvrir et y glissa son dossier, puis passa la lanière autour de son cou.

Ce n’est que là qu’il réalisa…

Tu as dit que tu avais un enfant dans cette ville, est-ce l’enfant auquel je pense ? demanda-t-il en plongeant son regard dans le sien.

Katerina & Matthew

Le cabinet où il travaillait, était spécialisé dans les affaires criminelles, meurtre, gang, drogue et trafic en tous genres. À sa première question il répondit:

On ne peut pas dire que je suis vraiment spécialisé, tu me connais, j’aime toucher à tout. Mais en général, j’aime m’occuper des meurtres conjugaux. Les bonnes femmes qui tuent leurs maris pour avoir la paix, sont parmi les cas que je préfère,dit-il en toute ignorance.

Elle regarda sa montre et le rassura.

Cool. Non, j’ai encore du mal à me repérer. Je dois souvent courir dans le métro pour ne pas être en retard. Et y a trois jours, j’ai voulu en rattrapé un et je me suis rétamer.

Il souleva sa canne.

D’où la canne.

En autre chose, pensa-t-il.

Et puis vint le moment où elle lui annonça ou plutôt lui rappela, l'existence de sa fille. Lui non plus n’aurait jamais imaginé aborder ce sujet aussi rapidement. Mais après tout, c’était probablement la seule chose dans cet univers capable de les garder proches, Katerina et lui.
La nouvelle le bouleversa, une fois de plus, d’un enfant à la fois inespéré et oublié. La première chose qu’il pensa était toutes ces années perdues loin d’elle. Il s’approcha d’un banc en pierre, situé en face de l’accueil. Il s’y installa toujours sur le choc. Il la regarda d’un air bouleversé sans réussir à décrocher un mot. Il s’imaginait la vie que cette jeune demoiselle avait pu avoir, les amies qu’elle a eu, les sports qu’elle a pratiqué. Toutes ces petites parcelles de vie, auxquelles il aurait du assister. Mais, il n’y avait qu’un seul truc qu’il avait immédiatement besoin.

Tu aurait une photo d’elle, s’il te plaît. J’aimerais la voir.

Katerina & Matthew

Katerina revint sur sa manière de procéder dans une affaire d'homicide conjugale.

Quand j’ai la possibilité de choisir, ce qui n’est pas toujours le cas, je me range du côté de celui qui n’a pas mériter son sort, que ça soit elle qui est morte ou celle qui a tuée. Je travaille chez Spencer & Mills au coeur de Brooklyn. C’est un cabinet californien qui possède des bureaux ici, à New-York. Je ne suis censé d’être que de passage, mon retour est prévu d’ici dix semaines.

Elle enchaîna sur des questions sur sa vie new-yorkaise.

Je n’utilise que le métro, celui d’ici est l’un des plus impressionnants que j’ai jamais vu. Ta proposition est très charitable, mais je dois me forcer à prendre mes marques.

Puis, elle rejoignit sur le banc et tenta de le réconforter, elle accéda à sa requête et lui présenta une photo de sa fille sur son téléphone. Il le prit de ses mains et observa attentivement la demoiselle blonde. Des petites larmes commençaient à perler dans le creux de ses yeux, mais il faisait tout pour ne pas qu’elles coulent.

Elle est… elle est vraiment magnifique. Le plus difficile toutes ces années, ça a été l’absence de son visage. Je n’ai jamais eu la chance de la voir, même toute bébé. Je n’avais rien à quoi m’accrocher pour m’imaginer comment elle serait, à 7, 12, 15 ou 18 ans.

La joie laissa bientôt place à de l’amertume, l’amertume d’avoir raté non seulement sa propre vie mais également celle de Léna. Il se tourna vers Katerina au moment où l’amertume se changea en colère.

Comment as tu pu...comment as tu pu me demander de l’abandonner ?

Katerina & Matthew

Katerina continuait de l’assailir de question, ça soûlait légèrement Matt même s’il comprenait qu’elle avait envie d’en savoir plus sur lui, ce qui d’un certain côté lui faisait aussi plaisir.

Ce n’est pas vraiment un déclic mais plutôt un boom, dit-il en mimant une petite explosion avec ses mains. Je ne sais pas si tu en as entendu parler, il y a quatre ans un groupe d’activistes radicaux pseudo-écolo ont fait sauté une bombe lors d’un sommet à San Diego, organisé par plusieurs grosses firmes américaines. J’y était en poste au près d’un des PdG d’une compagnie invitée. J’ai été propulsé par l’explosion et j’ai atterrit sur mon genou.

Il se massa le genou.

On m’a rafistoler avec une opération, en temps normal je n’en garde qu’un léger boitement. Sauf quand je me viande dans le métro de New-York, lacha-t-il en se marrant. Mais je ne pouvais plus exercer, aucune boîte de sécurité rapprochée ne voulait me reprendre après cet “incident”, comme ils disaient. La seule option s’était videur en club ou pour des bars, la déchéance quoi, pour un garde du corps. Alors je me suis reconverti, j’ai passé un an dans une université de droit de San Diego en formation accélérée où j’ai apprit à être avocat. Ce n’est pas si éloigné que de garde du corps, je défend toujours des personnes qui en ont besoin et je croise tout un tas de pourritures.

Elle lui propose de venir voir des photos de Léna.

On verra...peut-être plus tard.

Ça ne remplacerait jamais les années qu’il avait râté, mais il savait que c’était une intention louable qu’elle avait. Puis, elle commence à décrire leur fille. Il se met à imaginer la personne qu’elle doit être, ses qualités, sa voix, sa façon de rire. Tout ça le rend un petit heureux mais le replonge quasi instantanément dans la peine. Elle se met à sursauter quand il s’énerve. Il n’avait pas voulu l’effrayer. Elle commence à tenter de se justifier, au fond Matt comprenait les raisons de sa décision. Raisons, qu’il avait lui même accepter il y a des années. Sa réaction n’avait été que de la rancoeur mal placé, couplé à de la jalousie. La jalousie de la chance qu’elle avait eu, de voir Léna grandir. Katerina semblait vraiment désolée par cette situation. Mais il avait besoin de souffler, de digérer tout ça. Il se pinça les yeux pour faire partir ses larmes et reposa le téléphone de Kate sur le banc.

L’ambiance était pesante et Matt préféra rester silencieux pour ne pas céder une fois de plus à la colère.

Katerina & Matthew

Il l’écoute parler et le complimenter. Il la remercie par son classique sourire malicieux. Elle lui raconte la vie universitaire de Léna. Il se dit qu’à présent qu’il connaissait son visage et un de ces lieux de passage, il pourrait très bien s’y rendre, pour l’observer de loin. Cette perspective le rendit un peu moins cafardeux. Quand elle lui parle du père “officiel” de sa fille, Matt pense qu’il faudrait mieux qu’elle reste dans le brouillard, du moins un certain temps. Ça vie venait d’être bouleverser, il ne voulait absolument pas que cela arrive aussi à elle.  

C’est peut-être mieux qu’elle garde cette version pour l’instant. Je ne voudrais pas chambouler tout son univers. De toute façon, on en connaît un à qui, ça ne fera plaisir de me revoir.

Il acquiesçe à la proposition de Katerina. Marcher lui ferait surement le plus grand bien. Il se lève en lâchant en Russe: Avec plaisir !

Il sort sans avoir besoin de s'aider de sa canne qu'il garde sous son bras. Il s’arrête devant le perron du commissariat pour voir ce qu’elle souhaite faire. Dehors, le vacarme de NY lui fait étrangement le plus grand bien. Rien de mieux que des alarmes et klaxons de tous les cotés pour vous faire oublier vos soucis. Il repense à son rendez-vous, il ne comptait plus trop y aller après tout ça, mais il lui faudrait quand même prendre un moment pour prévenir de son absence.

Katerina & Matthew

Il n’était pour l’instant pas question pour Matt d’entrer dans la vie de sa fille. Il avait bien entendu très envie d’en faire un jour partie, mais peut être pas en tant que père au sens premier du terme. Et puis, elle pourrait très bien le rejeter ou lui en vouloir au point de ne pas l’accepter dans sa vie.

Toi qui la connaît, tu penses qu’elle me fera une place dans sa vie ?

Elle lui annonça la mort de son mari, d’une façon plutôt direct. Ce qui surprit fortement Matt. Elle semblait ne pas en être très bouleversé, il supposa que cela avait du se produire il y a longtemps.

Hein..de..quoi ! Lyman est mort ? Mais depuis quand ?

Il savait qu’il n’y avait jamais eu de forts sentiments entre elle et son mari et avec sa déclaration, Matt pensa que cela n’avait pas du s’arranger avec les années.

Je pense qu’on devrait en rester là pour aujourd’hui. J’ai eu beaucoup d’émotion, mais il n’y a pas eu que du mauvais, je te rassures. Je vais annuler mon rendez-vous et rentrez en métro. Marcher jusqu'à la station me fera du bien.

Katerina & Matthew

La réponse de Katerina rassura un peu Matt. Il espérait maintenant qu'elle sache qu'il n’essayera pas de mettre la pression sur l'une ou l'autre. Il savait que trop bien que ça n'était pas la meilleure solution et qu'il fallait mieux laisser les choses se passer naturellement.

Je la laisserais faire le premier pas une fois qu’elle saura, si elle souhaite faire ma connaissance, je serais là. Tu le sais, hin ?

Tient Lyman était mort depuis deux semaines, à quelques jours de l’arrivée de Matt à NY. C’était un sacrée coup du sort. Un inspecteur un peu trop zélé aurait pu m’en tenir responsable, pensa-t-il.

Tu a l’air de bien le vivre. Enfin non, je voulais dire, comment est ce que tu va ?

Il prit son numéro et le glissa dans une des poches intérieures de son manteau.

Je n’y manquerais pas. Je ne connais pas grand chose ici, et la bouffe californienne me manque déjà. Si tu en connais un dans le coin. Et j’aurais très envie de parler, bah, de notre fille quoi.

Ça lui faisait drôle de dire cela, c’était encore quelque chose de tout nouveau pour lui.

Katerina & Matthew

Il lui renvoya son sourire.

Prend ton temps, je vais en avoir également besoin de toute façon. Il faut encore que j'accepte tout ça.

La discussion sur Lyman, interloqua Matt. Ça lui paraissait bizarre que des inspecteurs convoque encore la femme d’une victime plus de deux semaines après sa mort. Il pensa qu’elle était peut être victime d’inspecteurs un peu trop impétieux.

Tu sais, si tu en a assez. Tu peux faire un recours pour harcèlement policier auprès de la Cour de Justice. Si tu leur met suffisamment la pression, ils peuvent même finir par perdre leur enquête. Donne moi leurs noms, je ferais une recherche sur eux.

Oh oui, un cioppino traditionnelle de San Francisco, le meilleur ragoût de poisson au monde avec, un bon vin blanc de là-bas. Cette pensée lui mit l’eau à la bouche.

Très bien, j’y passerais faire un tour, merci.